
QUI ÊTES-VOUS, LOUIS FRANCHON ?
C’est un peu après 1800 que son aïeul, un marchand originaire de Névache dans le Briançonnais, est venu s’installer à Fitilieu. S’ensuivit alors une longue lignée et, à sa naissance en 1908, Louis Alphonse Franchon se trouvait être le neveu ou le cousin d’une abondante famille d’artisans, de commerçants et d’entrepreneurs solidement implantée au centre des Abrets, principalement en la rue neuve, de l’emplacement de notre bibliothèque aux bâtiments des potiers Pivon. Henri Franchon, compagnon- charpentier et lieutenant des sapeurs-pompiers, était une figure locale respectée, le cousin Émile dirigeait la fanfare tandis que le café Franchon, rue Gambetta, demeurait un lieu moderne et sélect.
Les parents de Louis, Alphonsine Chollat et Louis Antoine Franchon s’employaient aux usines de soierie Giraud dans une situation somme toute plutôt favorable. Il avait un frère de trois ans son cadet, Marius, qui ira se marier et vivre en Algérie vers 1936. A l’aube de la grande guerre, la petite famille se transportera dans une jolie maison fraichement bâtie au mas de Beauregard, sur le chemin de la Bruyère. .
Après l’école primaire aux Abrets, Louis Franchon suivra les cours du collège de la Tour du Pin. Son maître, décelant de grandes capacités chez l’enfant, l’incitera à poursuivre ses études. Un conte qu’il compose à 13 ans lors d’un devoir de classe, La Légende des Hommes nains, atteste des qualités littéraires évidentes qui semblaient l’habiter déjà. C’est ainsi qu’ à 16 ans, en 1924, le jeune Louis gagnera l’école normale de Grenoble puis sa faculté et plus loin celle de Paris, avant les Universités de Pérouse et de Sienne en Italie, pays dont il conservera toujours des marques pleines d’admiration et d’affection.
En 1930, il vient de fêter ses 22 ans, lorsqu’il est nommé professeur de lettres et d’italien à l’Ecole professionnelle de Voiron, la Nat’, où il exercera jusqu’à son décès en 1944. Parallèlement a ses études, il collabore à La Vie Alpine, une revue de renom dont le thème central est la montagne pour laquelle il éprouve une passion très vive qu’il pratique autant que possible. Dans le même temps, le dessin et la peinture qui sont, ainsi qu’il le dit lui-même, un jeu de l’esprit dont il ne perçoit sans doute pas encore les aboutissements, le conduisent à coopérer au Salon de L’Effort, où se côtoient les jeunes talents à venir et les plus grands comme Vlaminck, Zadkine, les Derain et autres Fauves, Salon de l’Effort qui deviendra par la suite le prestigieux Salon d’exposition de Grenoble. Il y reviendra régulièrement. Ce sont là de premiers succès qu’en 1931 Andry-Farcy, le conservateur du musée de la cité alpine, saluera par plusieurs études que publie Le Petit Dauphinois.
Au printemps de l’année précédente a paru Terres Froides, un court roman sous-titré « Notations » où il met en mouvement les divers éléments de son bourg natal, les Abrets, avec une tendresse et une innocence qui ne cessent de fuser au long d’un récit alerte et bien conçu. Le prix littéraire des Alpes Françaises viendra couronner l’ouvrage l’année suivante en même temps que Ebauche montagnarde publié au début de 1931.
C’est dans le courant 1932 que la tuberculose vient frapper Louis Franchon, affaiblissant un esprit exceptionnel. Dès lors, ce ne seront plus que périodes d’épreuves et de souffrances qu’alternent celles de rémission pouvant laisser croire à la guérison qui ne viendra hélas jamais. Malgré de profondes douleurs, il parviendra à bout d’un long roman-journal, l’Ange Noir, où le beau et le laid, le bien et le mal semblent se disputer les tréfonds d’une conscience en quête de la pureté perdue. Roman tour à tour sombre ou coloré qui n’est pas sans rappeler Une Saison en Enfer de Rimbaud ou bien les vers d’Emile Nelligan. Joe Bousquet, poète surréaliste et critique de très haut niveau, en rend compte dans Les Cahiers du Sud à travers un article époustouflant d’enthousiasme. Publiée à compte d’auteur, l’édition sera épuisée en quelques semaines.
Marcelle Guinet, de son côté, reprendra le manuscrit de Pâle Venus que Louis Franchon souhaitait abandonner et qu’elle remettra en ordre sans rien n’en dénaturer. Il demeure que c’est là un ouvrage majeur de Franchon qui préfigurant L’Ange Noir, nous offre les clés principales d’une personnalité riche et tout en secret.
Si, au long des années 30, malgré la maladie, il ne cesse de publier de longs articles, des poèmes et d’écrire plusieurs romans aujourd’hui encore inédits, la peinture l’occupe également, de plus en plus, semblant le délivrer parfois de ce mal dont il sait combien la lutte est incertaine. Il chemine ainsi de réalisations figuratives très classiques à des compositions avant-gardistes personnelles qui correspondent là aussi aux mystères déjà entrevus d’une âme inquiète. Il signe ces dernières Armand Diel, pseudonyme tiré d’une anagramme de l’allemand armen leid, soit pauvre souffrance.
Avec ses amis, Dimitri Varbanesco, Abel Van Roemaer, Yves Farge et François Secret, il fonde Les Cahiers de Lygures en 1935, une revue d’art moderne et avant-gardiste. Il expose sa production dans les galeries grenobloises, lyonnaises et parisiennes. Il se lie avec Henri-jean Closon venu vivre à Voiron avec sa petite famille, il incite Émile Guerry à suivre sa vocation lui faisant découvrir Picasso, Van Gogh ou son ami Bohuslav Reynek qui vient parfois le visiter aux Abrets. Lui-même fréquente assidûment artistes et écrivains tels Jean Giono. Henry Pourrat. Marcel Jouhandeau, les membres du groupe Témoignage, d’autres encore.
Le temps passe entre les cours qu’il professe à la Nat’ de Voiron et de nombreux voyages en Italie, en Espagne, en Algérie où il retrouve son frère ; les musées, l’étude de l’Art qui ne quittera jamais cet esthète amoureux par-dessus tout des œuvres de Piero Della Francesca qu’il a découvert lors de ses premiers séjours en Toscane. L’époque cependant se fait difficile avec la guerre, l’occupation et leurs conséquences. En juillet 1941, aux Abrets. Il crée les décors de la revue musicale Derrière la Croisée qu’a mise sur pied René Guillaud, un enfant du pays qui s’est replié ici depuis les théâtres parisiens où il travaillait. Au printemps 1944, sous l’entremise de Varbanesco, il prépare diverses expositions sur lesquelles il compte beaucoup. Las, les évènements se précipitent, la galerie lyonnaise plus ou moins libertaire et surréaliste de Marcel Michaud, Folklore, doit brutalement plier boutique et ses responsables se fondre dans la clandestinité ou la résistance. L’Ecole Nationale Professionnelle de Voiron est fermée dans des conditions épouvantables suite à l’assassinat de miliciens par certains de ses élèves. Le débarquement de Normandie et les combats pour la libération rendent caducs les projets nourris pour la galerie Loele à Paris. La maladie doit avoir le dernier mot. Le 6 août, dans la maison du chemin de la bruyère, la vie, l’espérance et la souffrance se dénouent finalement dans un déchirement soudain d’ombre et de silence. Louis Franchon est enterré aux Abrets.
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« J’écris, chaque mot tue la blancheur, tue le vierge néant. A bout de souffle je place le manuscrit inachevé dans une couverture de carton, et je cache ainsi, je protège mon secret inavouable au grand jour. Et même je ne connais pas mon véritable secret, mais vous êtes bien imprudents si vous croyez mon oeuvre à l’infécondité. Je me dissimule derrière l’acte d’écrire parce que je ne me suis pas encore trouvé assez grand pour ma tâche, mais quand surgira mon visage réel, et mon rôle véritable, le monde sera neuf et ma vie resplendira. »
La blancheur condamnée – roman- 1936 inédit
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